Marie Moinard, autrice et éditrice : « La bande dessinée peut tout faire »

Marie Moinard © DR

La défense du droit de vote des femmes françaises s’est imposée à Louise Weiss de façon impérieuse et urgente. À ses côtés évolueront d’autres figures féminines mues par la volonté tenace de faire évoluer la loi. C’est le cas notamment de Madeleine Chaumont, Yvonne Netter et Jane Némo. Le combat de ces pionnières est subtilement mis en scène dans La française doit voter !, une bande dessinée récemment publiée chez l’éditeur Marabulles par Marine Tumelaire et Marie Moinard. Entretien.

Pour débuter, je vous demande une biographie. Quel est votre parcours ?

Marie Moinard : Un parcours atypique : des études de droit suivies d’une expérience rapide dans la presse audiovisuelle et dans les assurances.

Comment êtes-vous devenue éditrice ?

Marie Moinard : C’est à la suite d’une période d’inactivité professionnelle mais riche de lectures, de musique, de voyages, que j’ai commencé à aller sur des festivals de bandes dessinées. Des amitiés et l’envie d’aller plus loin sont nées. J’ai commencé par écrire des chroniques de lectures et réalisé des interviews pour des sites internet et dans la presse papier durant quinze ans et un jour – à un tournant important de ma vie – je me suis lancée dans ce métier.

Comment se sont déroulés vos débuts dans le monde de l’édition ? Avez-vous été sujette à des difficultés ?

Marie Moinard : C’est assez difficile de démarrer quand on n’a pas de « réseau ». Il faut tout construire. Il faut trouver un nom, un logo, un statut. Il faut que tout soit fait dans le respect des lois. Se faire connaître auprès des journalistes, des libraires, trouver un lieu de stockage, trouver comment expédier les livres avec un tarif compétitif, trouver un diffuseur, un distributeur., un imprimeur qui va vous faire confiance, un maquettiste pour la mise en page et la préparation des fichiers. Il faut créer un système de comptabilité pour tenir les stocks à jour, les relevés des ventes, les déclarations de TVA, d’impôts. Il faut se référencer un peu partout encore faut-il savoir où, il faut trouver des salons dans lesquels se présenter, etc. C’est un peu la folie, mais quand j’ai démarré Des ronds dans l’O, je suis partie sans me poser toutes ces questions, j’ai trouvé ça palpitant et passionnant et j’ai avancé au fur et à mesure. Heureusement, je suis optimiste.

En quoi consiste le travail d’une éditrice indépendante ?

Marie Moinard : Le principal est de définir si oui ou non, un projet peut dépasser ce stade. Ensuite il faut se projeter et accompagner les auteurs et les autrices tout au long de la réalisation du livre. Et enfin, il faut le rendre accessible à tous, on tente de le rendre visible en librairie, sur les réseaux, dans la presse et sur les salons. Et on tente aussi de l’exporter en le vendant à des éditeurs étrangers.

Quels sont les défis auxquels vous êtes confronté avec l’avènement des intelligences artificielles et la surproduction éditoriale ?

Marie Moinard : L’intelligence artificielle est là, on va donc tâcher de l’utiliser au mieux et de façon vertueuse. C’est encore assez flou pour nous, nous n’y avons pas encore eu recours. Pour ce qui concerne la surproduction éditoriale, c’est un défi permanent. Difficile à surmonter, on n’a pas les moyens des grosses maisons d’édition qui achètent les espaces de pub dans le métro, sur les bus ou dans les journaux spécialisés, voire les chaînes de télévision. Mais on prend d’autres chemins et toutes les maisons d’édition indépendantes sont un peu sur le même schéma. Cette année, nous allons travailler nos prochains titres en actionnant les plateformes de crowdfunding pour la première fois. L’idée est d’augmenter notre visibilité et de trouver un coup de pouce financier dont on a besoin.

Outre votre statut d’éditrice, vous êtes également critique et scénariste de bandes dessinées. De quelle manière ces deux fonctions influencent-elles votre travail d’éditrice ?

Marie Moinard : Soit je lis les projets qui arrivent dans ma boîte aux lettres, soit je lis des livres, des bandes dessinées, des articles. Je lis beaucoup ! C’est la lecture qui influence et qui nourrit mes deux métiers. Quand je m’en remets à une autre maison d’édition pour mon propre travail, je ne suis plus éditrice. Ça me repose et je prends de la distance par rapport à toutes contraintes commerciales pour me consacrer entièrement au récit que j’écris. J’ai mis en pause mon travail de critique pour la presse et je vais davantage me consacrer à l’écriture des scénarios qui me tiennent à cœur.

En collaboration avec la dessinatrice Marine Tumelaire, vous avez récemment publié La française doit voter, une magnifique bande dessinée qui réhabilite les combats et la mémoire de Louise Weiss. Quelle est la genèse de ce livre ?

Marie Moinard : Je recherchais un angle pour aborder l’histoire du droit de vote en France. C’est en fouillant dans les archives que l’histoire de Louise Weiss m’a semblée vraiment intéressante et se démarquer. C’est une femme qui aurait tout à fait sa place aujourd’hui dans les combats sociaux. Elle est inventive, rassembleuse, dynamique, audacieuse, moderne. Elle est têtue. Ses méthodes, inspirées des suffragettes anglaises, sont efficaces. Aujourd’hui, elle aurait créé des podcasts et des pages sur les réseaux sociaux pour sensibiliser à sa cause, elle serait sans doute une influenceuse. Elle est intelligente et cultivée ce qui lui permet d’évoquer les lois françaises et les lois étrangères afin de montrer le retard pris par la France sur cette question. Elle arrive sur la fin des années du combat, mais ce qui m’a intéressé, c’est justement cette abondance d’informations et d’actions qu’elle organise sans s’arrêter. Aucun échec, aucune moquerie ne l’empêchent d’avancer.

Ce livre met également en lumière plusieurs figures méconnues qui ont bataillé pour le droit de vote aux côtés de Louise Weiss : Madeleine Chaumont, Yvonne Netter, Jane Némo… Pourquoi ?

Marie Moinard : Parce que, Louise n’arrive que sur la fin de l’histoire du combat pour obtenir le droit de vote. Le travail a commencé 150 ans plus tôt au moins avec Olympe de Gouges. C’aurait été très injuste de lui attribuer, seule, la victoire. C’est vraiment un travail réalisé par de nombreuses femmes qui combattent sans relâche et se passent le relais d’années en années, jusqu’à ce que Louise Weiss arrive avec des méthodes plus modernes. Elle fait le buzz, elle fait du marketing sans que ces termes n’existent encore. Elle a cerné ses ennemis et les prend à leur propre jeu ou à revers avec humour. C’est tout naturellement qu’on retient son nom.

La réussite de ce livre est entre autres corrélée aux reproductions de textes, de discours et de dépêches qui donnent l’impression d’être aux côtés des protagonistes durant leurs combats pour le droit de vote des françaises… Comment s’est passée la documentation ?

Marie Moinard : Il y a pléthore de documents sur le net, notamment grâce aux archives de Pathé Gaumont, celles de l’Ina et celles de Gallica avec les articles de presse écrite qui m’ont fourni les dates précises, les descriptions, les lieux. Et j’ai lu des ouvrages sur elle, ceux qu’elle a écrits, les films sur elle et sur l’histoire du droit du vote, les documents du Sénat et de l’Assemblée parlementaire. C’était passionnant et j’ai dû me limiter face à l’immensité de documents trouvés.

Comment travaille-t-on à quatre mains sur un projet de bandes dessinées lorsqu’on est une scénariste ?

Marie Moinard : J’ai d’abord écrit le scénario complet et l’ai envoyé à la dessinatrice sous une forme découpée : Planche 1 – case 1 – description du décor et de l’action – dialogues écrits. Parfois, les dialogues sont arrivés un peu après surtout quand il faut reprendre les discours d’époque. Il faut ben choisir pour donner de la force et ne pas faire d’interprétation, la restitution formelle est importante dans un récit comme celui-ci. La dessinatrice le lit et voit des images arriver. Dans un cas d’Histoire comme celui-là, il y a moins de liberté, car les personnages ont existé. Il faut que ça leur ressemble un minimum. Mais la dessinatrice apporte son parti-pris graphique : les couleurs, le style, les mouvements. C’est une vraie création d’une grande richesse.

Quels sont les textes, auteurs et autrices que vous aimez ? Vous ont-ils permis de vous construire intellectuellement et humainement ?

Marie Moinard : J’aime un grand nombre d’auteurs et d’autrices, la liste est longue. Pour faire court, dans mon enfance, j’ai lu La Comtesse de Ségur et Georges Sand, J’ai lu tout Tintin et tout Astérix chez ma tante et mes cousines. Puis j’ai découvert Baudelaire, Apollinaire, Prévert, Dostoïevski, Stephan Zweig qui m’ont profondément marquée. Puis tout ce qui me tombait sous la main et qui parlait d’aventure, les récits des grands montagnards, Louis Lachenal, des découvreurs, Paul-Émile Victor… Puis Marie Cardinal, Victor Hugo. J’ai toujours eu une fringale de lecture, c’est essentiel.

La française doit voter est écrite dans une langue magnifique. Comment avez-vous construit cette langue ?

Marie Moinard : J’ai essayé d’être au plus près de la façon dont s’exprimaient les gens à cette époque. Le vocabulaire de Louise Weiss est assez ampoulé, riche. C’est vraiment très agréable de se mettre dans cette peau et de « jouer » ce personnage. Elle est théâtrale. J’ai beaucoup lu la presse de l’époque, inspirante pour le phrasé.

Quel rapport entretenez-vous avec les langues que vous parlez, notamment le français ?

Marie Moinard : Je ne connais que la langue française, mais j’ai la chance d’être à l’aise avec elle. J’aime beaucoup cette faculté d’avoir un terme pour chaque chose, chaque émotion. La langue française est faite de tant de mots, souvent si descriptifs qu’on peut exprimer des subtilités, des nuances avec précision.

Avez-vous d’autres projets en cours ?

Marie Moinard : Oui, dans l’immédiat, j’ai en tête deux projets. L’un est axé sur l’Histoire et l’autre sur la relation humaine. Tous deux sont en partie auto bio. Il faut que je dégage du temps. C’est le plus compliqué.

Quelle est votre définition personnelle de la bande dessinée ?

Marie Moinard : Pour le dire en quelques mots, une suite de dessins qui s’enchaînent en séquence et qui racontent une histoire ou une émotion. Quand je choisis une bande dessinée plutôt qu’un roman ou un essai, c’est souvent parce qu’à ce moment-là, j’ai envie de lire, mais aussi de regarder et j’aime quand le dessin me fait ressentir des émotions fortes. La bande dessinée est souvent un moment de recherche de la beauté même dans les récits difficiles ou pédagogiques. Le dessin apporte tellement !

Que peut la bande dessinée dans notre société ?

Marie Moinard : Comme pour toute forme d’écrit, la bande dessinée peut tout faire. Faire rire, faire pleurer, apprendre, soulager, éclairer, rappeler. Les bandes dessinées ont de plus en plus un rôle à jouer en classe. Les profs s’en servent comme support dans les cours d’Histoire, de sociologie, en SVT, dans de nombreuses matières. On peut raconter de belles histoires bienveillantes, douces et réconfortantes, mais aussi parler de la guerre, des violences sexuelles, de la maladie… C’est sans limite et passionnant.

Quels conseils donneriez-vous à celles et à ceux qui ont envie de se lancer en bandes dessinées ?

Marie Moinard : Peut-être que l’époque est moins joyeuse en ce moment, mais je crois qu’il faut aller au bout de toutes ses envies tant qu’on peut s’en donner les moyens. Il faut beaucoup échanger et observer avant de se lancer, se rapprocher de celles et ceux qui ont de l’expérience et puis, il faut oser et garder son enthousiasme !