La Cure de Mário César est une lecture nécessaire pour comprendre les rouages de l’homophobie au sein de la société brésilienne. En effet, dans son livre, l’auteur brésilien met subtilement en exergue un certain nombre de dogmes, qui nuisent à l’acceptation de l’homosexualité masculine dans son pays. Entretien avec Mário César.
Pour débuter, je vous demande une biographie. Quel est votre parcours ?
Mário César : Je suis auteur et éditeur de bandes dessinées, en plus d’être cocréateur et organisateur du Poc Con – Festival LGBTQIA+ de bandes dessinées et arts graphiques. J’ai réalisé ma première bande dessinée publiée professionnellement en 2006 et en 2013. Avec Ciranda da Solidão, j’ai été l’un des premiers auteurs ouvertement queer à publier une bande dessinée abordant les questions de diversité sexuelle et de genre au Brésil. J’ai déjà remporté le Troféu HQ Mix, le plus grand prix de bandes dessinées au Brésil, et j’ai été deux fois finaliste du Prix Jabuti, la principale compétition du marché éditorial brésilien. Depuis 2019, j’organise Poc Con, un salon de bandes dessinées et arts graphiques où tous les exposants sont des artistes LGBTQIA+.
Vous avez dernièrement publié aux Éditions iLatina, La Cure, un ouvrage dans lequel vous mettez en scène la trajectoire ardue d’un homosexuel au Brésil durant les quatre dernières décennies du XXème siècle. Quelle est la genèse de ce livre ?
Mário César : En 2013, un député d’extrême droite a pris la direction de la commission des droits de l’homme au congrès national et a tenté de légaliser les thérapies de conversion sexuelle qui sont interdites au Brésil depuis 1999. J’ai commencé à faire des recherches sur le sujet, j’ai été horrifié par ce que j’ai trouvé et j’ai décidé de faire une bande dessinée sur ce thème. Ce n’est pas une histoire autobiographique comme certains le pensent. Heureusement pour moi, mes parents ne m’ont pas soumis à ces thérapies truculentes et fallacieuses.

Construit sous forme de récit de vie, La Cure met en exergue les violences homophobes auxquelles fut confronté le protagoniste, notamment au sein de sa parentèle. Ces violences homophobes sont-elles courantes au Brésil ?
Mario César : Malheureusement, oui. Bien que nous ayons des lois très avancées, le Brésil a une fondation catholique très conservatrice et, au cours des dernières décennies, les églises évangéliques ont gagné beaucoup de force et aident à perpétuer les préjugés. L’intérieur du Brésil, en particulier, est très répressif pour les personnes queer. Le Brésil détient le titre honteux de pays qui tue le plus de personnes trans dans le monde.
Avec minutie, La Cure fait aussi la monstration de la violence infligée au protagoniste par d’autres enfants. Pourquoi avez-vous choisi de mettre en avant ce sujet moyennement abordé dans nos sociétés ?
Mário César : Les premières violences que chaque personne LGBTQIA+ subit sont à la maison et à l’école. Donc, pour moi, il était inévitable d’aborder ce sujet. C’est un sujet qui devrait être traité dans les salles de classe, car beaucoup d’enfants n’ont pas accès à l’information à la maison et subissent souvent des violences de la part de leurs parents.
Dans La Cure, le rejet de l’homosexualité est entre autres corrélé à la religion et aux conventions sociales. D’ailleurs, les parents du protagoniste ont souvent trouvé convenable d’avoir un fils drogué au lieu d’un fils homosexuel. Comment expliquez-vous ce positionnement ?
Mário César : Cette phrase du père d’Acacio est quelque chose que j’ai entendu de mon propre père quand j’étais adolescent. L’existence de personnes queer va à l’encontre des normes imposées par le patriarcat et a toujours été stigmatisée et diabolisée. Les sociétés capitalistes sont structurées autour des concepts d’accumulation de richesse, de mariage et d’héritage. Les enfants gays ou trans signifiaient autrefois la fin d’une lignée familiale par l’impossibilité d’engendrer des héritiers. L’origine de l’homophobie et de la transphobie vient de là. Le préjugé a également été utilisé par les colons pour diviser les sociétés qu’ils tentaient de subjuguer. La plupart des tribus autochtones d’Amérique, par exemple, ne nourrissaient pas de tels préjugés et beaucoup vénéraient même les personnes trans parce qu’elles considéraient qu’elles avaient deux esprits.
Votre ouvrage est parsemé de plusieurs images qui permettent de découvrir l’histoire de l’homosexualité au Brésil : traitement du sujet par la presse, apparition du collectif Somos en 1981, décès du chanteur Cazuza en 1990, condamnation des thérapies de conversion en 1999 par le conseil national de psychologie… Pourquoi ?
Mário César : Il est essentiel de connaître notre propre histoire, savoir qui s’est battu pour que les choses aillent mieux aujourd’hui qu’il y a quelques décennies. Nous assistons à la montée de l’extrême droite dans le monde entier. Ici, au Brésil, ces groupes sont nostalgiques du régime militaire et essaient même de vendre la fausse idée qu’il n’y a pas eu de dictature. Il est important de détruire ces mensonges et de se rappeler comment le régime militaire a persécuté les personnes LGBTQIA+. Nous ne pouvons laisser la mémoire être effacée et réécrite par des personnes qui menacent la démocratie, les droits et l’existence même des personnes queer.

Comment avez-vous construit ce livre ?
Mário César : Cela représente 4 ans de production. J’en ai eu l’idée en 2013, mais j’étais pris par d’autres projets et je n’ai commencé à le dessiner qu’en 2016. J’ai commencé à le publier sur Internet à partir de 2017 et j’ai terminé en 2019. Initialement, ce récit a été édité de manière indépendante en 3 volumes et, à cause de la répercussion et des prix qu’il a gagnés, une grande maison d’édition du Brésil a voulu republier tout en un seul volume.
Quelles sont les techniques de dessin et de mises en couleur utilisées durant la réalisation de ce livre ?
Mário César : Pour La Cure j’ai dessiné de manière traditionnelle, crayonné sur papier et encrage avec pinceau et encre de Chine. Ce n’est que la colorisation et le traitement d’images que j’ai fait numériquement sur ordinateur.
Quelles sont vos influences graphiques ?
Mário César : Mes plus grandes influences de la bande dessinée sont Will Eisner, Gilbert Hernandez, Alison Bechdel, Quino, David Mazzucheli et la dessinatrice brésilienne Laerte.
Quels sont les textes, auteurs et autrices que vous aimez ? Vous ont-ils permis de vous construire ?
Mário César : Les auteurs qui ont beaucoup influencé mon écriture sont des scénaristes de bandes dessinées comme Alan Moore, Will Eisner, Neil Gaiman, Laerte et Alison Bechdel, mais aussi des écrivains de littérature comme Caio Fernando Abreu, Clarice Lispector, O. Henry, Mario Vargas Llosa et des réalisateurs comme Wong Kar-Wai, Woody Allen, Orson Welles, Jane Campion, Charlie Kaufman.
Je n’aime pas me limiter à un style ou genre spécifique, mais je crois que je m’adapte plus à ce qu’on appelle alternatif ou indépendant.
Mário César
Comment qualifierez-vous votre travail ?
Mário César : Mon travail parle de la vie quotidienne et des questions sociales et politiques, mais je n’aime pas trop m’attacher à un seul genre et si j’ai déjà produit des drames historiques comme La Cure, je me suis aussi aventuré dans l’autobiographie, le roman, le réalisme fantastique… je veux faire de tout !
Et votre style ?
Mário César : Je n’aime pas me limiter à un style ou genre spécifique, mais je crois que je m’adapte plus à ce qu’on appelle alternatif ou indépendant. J’aime changer un peu l’esthétique selon chaque histoire.
Quelle est votre définition personnelle de la bande dessinée ?
Mário César : Pour moi, la bande dessinée est l’art de raconter des histoires avec des récits graphiques. C’est ma passion d’adolescence qui est devenue un amour pour toute la vie.
Quelles œuvres de bande dessinée conseilleriez-vous à ceux qui ont envie de découvrir le médium ?
Mário César : Ils sont nombreux, mais je recommanderais les romans graphiques de Will Eisner, Mafalda de Quino, n’importe quelle BD de Ralf König, L’Incal de Moebius, Les histoires de Palomar de Gilbert Hernandez, Fun Home d’Alison Bechdel, Persépolis de Marjanne Satrapi, Asterios Polyp de David Mazzucheli, Watchmen d’Alan Moore, Angola Janga de Marcelo D`Salete, Stuck Ruben Baby de Howard Cruse.
Au Brésil, la majeure partie de notre production actuelle se fait sous forme de BD indépendante et est vendue via des campagnes de financement collectif et lors d’événements tels que CCXP et Poc Con.
Mário César
Quelles différences établissez-vous entre les secteurs de la BD en France et au Brésil ?
Mário César : La France a un marché beaucoup plus professionnel et mieux établi que le Brésil. Les ventes en France se concentrent sur les librairies et les ventes en ligne, au Brésil les titres les plus vendus sont les bandes dessinées infanto-juvéniles de Mauricio de Sousa et les mangas. Ce sont des livres distribués dans les kiosques à journaux et même dans les grandes chaînes de supermarchés. À l’exception de Mauricio de Souza et d’un autre auteur qui gagne en notoriété sur Internet ou avec des prix importants, la production brésilienne n’a pas encore une portée à grande échelle pour le grand public ici. Au Brésil, la majeure partie de notre production actuelle se fait sous forme de BD indépendante et est vendue via des campagnes de financement collectif et lors d’événements tels que CCXP et Poc Con.
Avez-vous d’autres projets en perspective ?
Mario César : Je dessine actuellement Votes Perdus, un thriller politique sur les coulisses d’une élection présidentielle. J’ai aussi un autre scénario en cours, mais je ne peux pas encore en parler.
Des conseils pour ceux qui veulent commencer à faire des bandes dessinées ?
Mario César : Commencez par produire des histoires courtes avant de vous plonger dans la production d’œuvres plus longues jusqu’à ce que vous maîtrisiez le métier et définissiez bien votre style. Personne ne naît prêt à dessiner des BD. Ayez de la patience, car tout le monde n’atteint pas le succès dès ses premiers travaux. Enfin, essayez de ne pas mesurer votre succès en le comparant au succès des autres, car vous aurez toujours quelqu’un qui aura mieux réussi, sera mieux récompensé, etc. Se comparer à d’autres collègues n’est pas sain et peut vous déprimer et vous démotiver. Concentrez-vous sur votre production et sur la création d’un public réceptif à votre travail. Je pense que ce sont les meilleurs conseils pour ceux qui débutent.

N. B. : Entretien réalisé avec l’apport de l’éditeur et traducteur Thomas Dassance.