Le romancier Thomas Oussin est un fin portraitiste de l’enfance souvent chambardé par des mères défaillantes, insoucieuses du bien-être physique et psychologique de leurs progénitures. Dans À double tour, sa dernière parution aux Éditions Viviane Hamy, Thomas Oussin met finement en scène le quotidien insoutenable de deux jeunes enfants malmenés de façon protéiforme par une mère insensible, vengeresse… Entretien avec Thomas Oussin sur son art du roman, de la littérature
Pour débuter, je vous demande une biographie. Quel est votre parcours ?
Thomas Oussin : Je suis né dans un petit village de la Nièvre en 1982, au sein d’une très grande famille. Après des études de Lettres Classiques à Dijon, je deviens enseignant, d’abord en banlieue parisienne puis à Paris. J’ai découvert la lecture comme beaucoup, à l’école. Je me souviens du livre que l’on utilisait pour apprendre la lecture : Gridi, lapin des bois. Je me souviens également du bonheur que cela me procurait d’apprendre de nouveaux mots. L’un des premiers mots que je me souviens avoir découvert ainsi est le mot « gîte ». En dehors de ce que nous lisions à l’école, ma première rencontre avec la littérature s’est faite, il me semble, avec Marcel Pagnol. Ma mère avait commandé La gloire de mon père, Le château de ma mère et Le temps des secrets. Je m’y plongeais avec plaisir, retrouvant par ce biais, la Provence où je passais tous mes étés.
Pourquoi écrivez-vous ?
Thomas Oussin : L’écriture s’est développée chez moi au même titre que tous les autres moyens de création. Je me suis adonné très tôt aussi bien au dessin qu’à la peinture, sculpture, expression théâtrale. Après une formation de comédien au Cours Florent, je me suis mis à écrire des scénarios de courts puis de longs métrages avant de m’essayer finalement à l’écriture de romans.
Qu’est-ce qui vous plaît tant dans l’écriture ?
Thomas Oussin : J’aime créer, quel que soit le support. J’aime inventer des histoires, dessiner des personnages. Encore plus que l’acte de création, c’est le résultat fini qui me satisfait.
Comment écrivez-vous ?
Thomas Oussin : Dans un premier temps, je décide toujours du plan de l’ouvrage (de manière plus ou moins précise) avant de me lancer concrètement dans la phase d’écriture. J’écris ensuite dans l’ordre chronologique de mon récit. Même s’il m’arrive de prendre des notes sur un petit carnet, sur mon téléphone ou sur des feuilles volantes, j’écris principalement sur mon ordinateur pour des questions pratiques. J’aurais trop peur de perdre ce que j’aurais écrit sur un cahier. Sur l’ordinateur, je peux tout sauvegarder et me l’envoyer ensuite ! Je n’ai pas de rituel particulier. Je peux écrire à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit, tout dépend malheureusement de mon métier principal et de ma disponibilité.
Vous arrive-t-il de vous éloigner de ce plan préétabli ?
Thomas Oussin : C’est possible. Je me laisse toujours surprendre par mes idées. Comme mon plan est toujours assez approximatif, c’est en me plongeant dans l’écriture que les intentions se précisent et évoluent parfois.
Vous avez publié plusieurs ouvrages, dont À double tour, un roman qui met en scène la trajectoire d’un individu avant et après sa séquestration par sa mère. Quelle est la genèse de ce roman ?
Thomas Oussin : La genèse de ce roman est multiple. Je voulais notamment raconter une relation entre une grand-mère et son petit-fils basée sur la pudeur, je me suis alors demandé ce qui aurait pu réunir ces deux êtres sous le même toit. J’ai alors décidé de mettre à mal le maillon manquant, celui de la mère. J’ai fait de nombreuses recherches sur le syndrome de Médée, lorsque la mère cherche à se venger de son mari en s’en prenant à son enfant.
Par ailleurs, j’avais été marqué, plus jeune, par le film On a tué mes enfants dans lequel Farrah Fawcett joue une femme qui a tenté de se débarrasser de ses enfants car ils constituaient, selon elle, une entrave dans sa nouvelle relation avec un homme.
Enfin, il m’intéressait de me questionner sur les violences intrafamiliales : comment prend-on conscience qu’on comportement n’est pas normal lorsqu’il vient d’une personne en qui l’on est censé avoir confiance ?
Relaté à la première personne par le séquestré, ce récit montre aussi la matrice de cette violence à laquelle lui et sa sœur ont été confrontés. La violence a-t-elle toujours une origine ?
Thomas Oussin : Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, je pense qu’on ne naît pas intrinsèquement mauvais. C’est souvent l’environnement dans lequel on a vécu qui conditionne l’adulte que l’on deviendra. D’ailleurs, dans mon histoire, je ne voulais pas émettre de jugement sur la mère et ses actes. Sans doute s’expliquent-ils aussi par ce qu’elle a elle-même subi.
Que ce soit celui du mari infidèle, celui flétri de la grand-mère ou celui des enfants en transformation, le corps occupe une place importante dans À double tour. Quelle en est la raison ?
Thomas Oussin : J’aime beaucoup écrire sur les sensations de manière générale. De plus le corps a une place essentielle dans cette œuvre : dans le complexe de Médée c’est bien parce que la mère considère le corps de ses enfants comme quelque chose qui lui appartient qu’elle se permet d’agir ainsi. Par ailleurs, le corps du garçon devient en quelque sorte le reflet de sa santé mentale : la transformation de son corps symbolise sa reconstruction. Enfin, le corps vieillissant de la grand-mère est un rappel au narrateur du temps qui passe. Il se questionne sur l’avenir : qu’adviendra-t-il de lui lorsqu’elle ne sera plus là ?
Les pouvoirs de la lecture sont incommensurables, tous les spécialistes le diront : elle permet de stimuler le cerveau, la mémoire, de développer ses connaissances, son esprit critique et sa capacité d’analyse.
Thomas Oussin
Comment avez-vous construit ce récit ?
Thomas Oussin : Je souhaitais alterner entre deux temporalités : le moment de l’écriture (de la reconstruction auprès de la grand-mère) et le moment de la séquestration. Il m’intéressait par exemple de mettre en parallèle le silence ou la relation au corps, lors de ces deux périodes.
Quid des deux langues dissemblables employées par le narrateur et sa grand-mère dans le livre ?
Thomas Oussin : La langue et le vocabulaire utilisés par la grand-mère sont, à mon sens, révélateurs de sa personnalité. La grand-mère a un parler très populaire inspiré de mon « terroir ». Le petit-fils qui devient un élève plutôt brillant se détache de ce vocabulaire. C’est aussi le langage de celui qui fait des études, par opposition à la grand-mère.
Dans À double tour, la lecture permet aux enfants de s’évader mentalement de leur condition de séquestrés. Quels sont les autres pouvoirs de la lecture ?
Thomas Oussin : Les pouvoirs de la lecture sont incommensurables, tous les spécialistes le diront : elle permet de stimuler le cerveau, la mémoire, de développer ses connaissances, son esprit critique et sa capacité d’analyse. C’est un média essentiel accessible à tous.
Et de la littérature ?
Thomas Oussin : La littérature, c’est la beauté : la subtile alliance entre la langue et l’histoire. Il m’est arrivé de trouver qu’un livre était plutôt mal écrit, mais de me laisser emporter et toucher par le récit.
La littérature peut-elle quelque chose dans notre société ?
Thomas Oussin : La littérature a de nombreux « pouvoirs ». Elle a le pouvoir de nous divertir, de nous faire ressentir de puissantes émotions, de nous faire réfléchir.
Outre À double tour, vous avez publié Soleil de Juin, un roman dans lequel un jeune garçon s’échappe de chez sa mère pour retrouver son ainé avec lequel il fera les « 400 coups ». Comment ce premier livre est-il né ?
Thomas Oussin : Une image de départ : celle d’un garçon qui marchait le long d’une voie ferrée. Le reste s’est créé ensuite progressivement. Une envie d’écrire un roman « simple », court, dans lequel l’intrigue était « légère », « volatile ». Presque un roman contemplatif.
Comme À double tour, Soleil de Juin met également en exergue des relations difficiles entre une mère et ses enfants. Comment choisissez-vous les sujets abordés dans vos livres ?
Thomas Oussin : J’aime utiliser le noyau familial comme source d’inspiration. J’aime y distendre les relations et pousser certains aspects des personnages à leur paroxysme.
Quelles sont les figures auctoriales qui vous ont permis de vous construire intellectuellement et humainement ?
Thomas Oussin : Très tôt, j’ai aimé la langue de Pagnol, parce que j’y associais notamment les étés de mon enfance. J’ai ensuite été charmé par Zola, par le Paris à la fois bourgeois et ouvrier du XIXe siècle. Et plus récemment, j’ai été retourné par l’écriture d’Emmanuelle Bayamack-Tam, plus précisément par Il est des hommes qui se perdront toujours, un livre publié sous le pseudonyme Rebecca Lighieri.
En tant qu’enseignant, comment transmettez-vous le goût de la lecture aux élèves ?
Thomas Oussin : C’est un travail difficile. J’essaie de leur transmettre le goût de la lecture d’abord en leur faisant étudier des textes qui me plaisent afin de leur expliquer les émotions que la lecture peut susciter. J’essaie également de les sensibiliser au pouvoir du récit en passant par le cinéma et en leur faisant repérer les bases nécessaires à toute intrigue, à toute action.
Je n’aime pas m’embrasser de fioritures inutiles. J’aime l’efficacité du propos, ce qui n’empêche pas d’être subtil.
Thomas Oussin
Avez-vous d’autres projets en cours ?
Thomas Oussin : Je travaille sur deux projets de roman : l’un dans la même veine des deux premiers (le drame social), l’autre centré autour d’un fait historique.
Comment qualifierez-vous votre travail littéraire et votre style ?
Thomas Oussin : Il ne m’appartient pas vraiment de qualifier mon travail ou mon style. La seule caractéristique que je pourrais évoquer, c’est la simplicité. Je n’aime pas m’embrasser de fioritures inutiles. J’aime l’efficacité du propos, ce qui n’empêche pas d’être subtil.
Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui ont envie de se lancer en littératures ?
Thomas Oussin : De se lancer, de faire ce dont ils ont envie. Si l’envie est là, le reste n’est que futilités.