Hommage à Charlie Hebdo (1/3)
Dix ans après les attentats terroristes perpétrés contre la rédaction de Charlie Hebdo, la revue Hans & Sándor a souhaité rendre hommage au journal satirique en recueillant les témoignages de celles et ceux qui l’aiment, le lisent depuis moult années. Dessinateur de presse franco-burkinabè, Damien Glez a d’abord été un lecteur assidu de Charlie Hebdo avant d’y collaborer. Dans ce premier volet de notre hommage au journal satirique, il relate avec minutie l’apport de Cabu, Honoré et Wolinski dans l’affermissement de son « gout pour le dessin de presse ». Entretien.
Comment avez-vous découvert Charlie Hebdo ?
Damien Glez : J’ai grandi en France et donc je connais, depuis presque toujours, Charlie Hebdo et le journal précédent Hara Kiri. Devenu dessinateur professionnel, notamment en Afrique, j’ai eu l’occasion de découvrir la rédaction de l’intérieur et de connaître quelques membres qui sont venus à Ouagadougou où je travaille, notamment Tignous en 2011.
Selon vous, qu’est-ce qui fait la spécificité de Charlie Hebdo ?
Damien Glez : Charlie Hebdo appartient à la famille satirique qui consiste à traiter l’actualité, notamment par le biais de la caricature et fréquemment celui de l’humour. Dans cette famille éditoriale où la France compte également Le Canard enchaîné, la spécificité de “Charlie” est son style “coup de poing” que l’hebdomadaire a toujours assumé, notamment par le slogan « bête et méchant ».
Charlie Hebdo vous-a-t-il influencé dans votre travail de caricaturiste ?
Damien Glez : Bien sûr, Charlie Hebdo a alimenté mon goût pour le dessin de presse, notamment des artistes comme Cabu, Honoré ou Wolinski, bien avant que je sois professionnel. En ce qui concerne ma carrière de dessinateur de presse, elle s’est toujours déroulée depuis un autre continent, donc je me suis frayé un style et une ligne éditoriale spécifiquement adaptés à ces contrées. Et puis il y a eu quelques collaborations ponctuelles entre “Charlie” et notre hebdromadaire burkinabè Le Journal du jeudi, ce qui a permis de tisser des liens confraternels.
L’actualité de cette semaine est marquée par la commémoration des attentats terroristes perpétrés en 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo. Une réaction ?
Damien Glez : C’est à la fois avec recueillement et volontarisme que le monde de la presse commémore cet événement, notamment la petite sphère des dessinateurs de presse. Le flambeau ne s’est pas éteint, Charlie paraît toujours et l’opinion reste attachée à la liberté d’impertinence. Mais l’actualité du dessin de presse n’est réjouissante, pour d’autres raisons, que dans peu de zones du monde, avec notamment la dégradation de la liberté de dessiner, comme aux Etats-Unis avec la récente démission d’Ann Telnaes du Washington post. Après les terroristes, il aura fallu affronter le politiquement correct et les populismes de tout poil, parfois militaires en Afrique…
Comment avez-vous vécu ces attentats terroristes de 2015 ?
Damien Glez : Abasourdi, j’ai vécu cet attentat de Charlie depuis ma rédaction ouagalaise, informé par des amis des victimes. Ce fut évidemment un choc pour les dessinateurs de presse, mais aussi pour tous les défenseurs de la liberté d’expression. Depuis l’Afrique, cette violence en plein Paris paraissait surréaliste, tant les dessinateurs de Charlie eux-mêmes disaient à leurs collègues africains qu’ils semblaient prendre bien plus de risques qu’eux…
Après les attentats terroristes de 2015, de nombreuses manifestations de soutien à Charlie Hebdo ont eu lieu à travers le monde, notamment sur le continent africain où vous êtes établi. Charlie Hebdo bénéficie-t-il aujourd’hui du même soutien en Afrique ?
Damien Glez : Il est certain que cet événement historique reste dans les mémoires africaines, mais qu’il est moins présent, au quotidien, en dehors de la commémoration actuelle. Tous les Africains n’étaient d’ailleurs pas Charlie, à l’époque. En termes de soutien concret, Charlie Hebdo n’est pas un journal qui est vraiment lu en Afrique…
Que ce soit en France, aux États-Unis ou en Égypte, nombreux sont les caricaturistes à faire face à des situations de censure, de menaces et d’arrestations arbitraires. Comment l’analysez-vous ?
Damien Glez : Les pressions font partie du métier, un dessinateur de presse devant être conscient qu’il faut être… inconscient, quand on fait ce métier et garder une juste distance notamment avec les réseaux sociaux. Mais effectivement, les menaces directes ou indirectes qui pèsent sur la profession semblent de plus en plus nombreuses, comme le développement des populismes, la croissance de la désinformation et l’usage que celle-ci peut faire de l’intelligence artificielle, l’outrance des réseaux sociaux, le manque de culture de décryptage des caricatures ou encore la crise multiforme de la presse, crise économique et crise de confiance. Aux dessinateurs de presse – dont le métier pourrait paraître désuet – de se réinventer.
Quelle est votre définition personnelle de la caricature ?
Damien Glez : La caricature est, pour moi, la représentation décalée de la réalité, pour mieux y réfléchir. On pense bien sûr aux portraits-charges, à la représentation des visages, mais on peut aussi caricaturer un corps de métier, un lieu, une situation, un discours. Et cette production satirique dépasse la simple production graphique, pour se développer dans des chroniques écrites ou des scénarios de séries télévisées.
Comment soutenir Charlie Hebdo ?
Damien Glez : La meilleure manière de soutenir Charlie Hebdo est de l’acheter ! Mais aussi d’alimenter les débats qui concernent le journal, en le “châtiant bien” quand il le faut. Et pour soutenir la satire en général, il faut aussi, parallèlement à la production de caricatures, participer – quand c’est possible et quand c’est notre nature – à toute forme de sensibilisation en faveur de cette forme d’expression. Après les caricatures danoises de Mahomet, par exemple, s’est créée l’association Cartooning for peace qui suscite des publications de livres, des rencontres de dessinateurs, des expositions, de la veille sur les atteintes aux droits des caricaturistes, mais aussi des ateliers dans les écoles ou les prisons.