Dans les milieux éditoriaux français et francophone, il y a des maisons d’édition auxquelles les lecteurs font assidûment confiance avec un intérêt et une curiosité renouvelés à chaque rentrée littéraire. Fondée en 1986, Arléa fait partie de celles-ci en raison notamment de la richesse du catalogue et des collections savamment enrichis par les différents éditeurs, dont Anne Bourguignon qui nous présente son travail avec entrain. Entretien.
Pour débuter, je vous demande une biographie. Quel est votre parcours ?
Anne Bourguignon : Des études de lettres et de philosophie et donc un parcours autour des livres. Des livres, des livres, des livres. Ils sont là depuis toujours !
Comment êtes-vous éditrice de littératures française et étrangère ?
Anne Bourguignon : Disons par chance et par détermination. Tout a commencé avec un stage chez Arléa en 1996, au bon moment sans doute. Après le stage, je suis devenue petit à petit et avec beaucoup de patience éditrice. D’abord en publiant des livres gratuits, ensuite des rééditions et des traductions de classiques, puis, enfin, des vivants ! Les deux premiers auteurs à qui j’ai écrit avant même de faire mon stage, je les ai publiés 20 ans plus tard.
Au sein de Arléa, la maison d’édition dans laquelle vous officiez, vous éditez annuellement plusieurs ouvrages de littérature et d’architecture. Comment se passe la sélection de ces livres ? Quels sont vos critères ?
Anne Bourguignon : Il faudrait poser la même question à un parfumeur ou à un paysagiste…
C’est toujours un mélange de connaissances techniques et sensibles, de l’intuition et des choix, en laissant toujours une large place aux rencontres. Et puis les livres (rien n’est plus vivant !) engendrent d’autres livres. Par exemple, le premier titre d’architecture, La Désobéissance de l’architecte de Renzo Piano, est venu du catalogue de littérature italienne. Une greffe, vous le voyez, qui donna fruits et fleurs.
Comment accompagnez-vous les autrices et auteurs durant l’écriture de leurs œuvres ?
Anne Bourguignon : Au plus près. Mais sans être envahissante.
C’est un travail mystérieux, qui dépend tellement de l’autre, et un défi constant. Il faut trouver la bonne distance qui n’est jamais la même. Sans cesse remettre le texte au centre. Et rester au plus près de la voix qu’on pense percevoir d’un auteur ou d’une autrice. L’inciter à aller plus loin. C’est aussi nécessaire et hardi qu’une traversée de funambule sur un fil : avancer en prenant appui sur le fil et sur le vide, avancer sans savoir. Sans doute fait-on plein d’erreurs. C’est la vie, pas une science. On fait au mieux ce qu’on pense devoir faire.
Quelles stratégies mettez-vous en place pour promouvoir les œuvres des autrices et auteurs édités chez Arléa ?
Anne Bourguignon : Des Stratégies ? Non. Je dirais que c’est avant tout une affaire d’engagement et de confiance réciproque avec les lecteurs, les libraires, les journalistes.
De Gallimard à Hachette Livres, de Audiolib à Grasset, de nombreuses maisons d’édition française font depuis de nombreuses années appel aux influenceurs littéraires, souvent rémunérés. Arléa collabore-t-elle avec ces nouvelles figures de la prescription littéraire ?
Anne Bourguignon : Nous sommes une petite maison… Pour ma part, je crois encore et surtout aux relations humaines pour la circulation des textes.
En tant qu’éditrice, à quels défis êtes-vous actuellement confronté dans le monde du livre ?
Anne Bourguignon : La surproduction est un vrai problème, qui n’est pas limité au monde du livre. Il faut comprendre et accepter que chacun de nos actes nous engage. Nos livres aussi.
Au sein de Arléa, vous dirigez plusieurs collections de livres dont Guide anachronique et La Rencontre. Comment ces collections sont-elles nées ?
Anne Bourguignon : Si vous me le permettez, reprenons le parallèle avec un jardinier : pour composer un paysage, il faut concevoir l’harmonie de différentes espèces d’arbres ou de fleurs. Les collections, dans une maison d’édition, viennent accroître et diversifier le paysage. Mais le premier livre de chacune de ces collections a bien sûr une histoire forte et singulière. Le premier Guide anachronique vient de Pascal Bonafoux, Guide anachronique de Rome. Parce qu’en un seul lieu et en un instant, à Rome, vous pouvez percevoir tous les temps qui s’enchevêtrent : Antiquité, Modernité, Renaissance et Classicisme… Il en va de même de notre mémoire si l’on évoque l’enfance, ou le bleu, ou l’amour ! D’où ces nouveaux Guides anachroniques de la neige, de Kyoto, ou de l’infini.
Quant à La rencontre, vous l’aurez compris, elle est au cœur de ma vie, de nos vies me semble-t-il, et au cœur de la littérature. C’est toujours une histoire singulière avant que cette histoire ne se mêle à toutes les autres. Il y a un bonheur des commencements et une joie singulière des lendemains.
Outre ces deux collections, vous dirigez depuis la rentrée littéraire d’automne une nouvelle collection intitulée Une journée particulière. Quelle est sa genèse ?
Anne Bourguignon : Après avoir publié Un dimanche à Ville-d’Avray de Dominique Barbéris, j’ai eu envie de poursuivre l’aventure romanesque sur l’émotion si forte que nous laissent certains films et dont sont empreints leurs titres. Même trente ou quarante ans plus tard, un titre fait surgir un monde. D’où cet hommage à Ettore Scola, à l’Italie. Une collection est un prétexte à rêveries que l’on ouvre aux auteurs. Ce n’est pas une contrainte, plutôt une porte ouverte. J’avais cette idée depuis plusieurs années, et c’est le texte si inquiétant, si fort, si fragile aussi et donc bouleversant, de Matthieu Gounelle, Toujours l’aimer, qui s’est imposé. Les livres comme les collections naissent de ces rencontres et de ces énergies.
Outre leur format attrayant et portatif, l’une des caractéristiques des livres que vous éditez se situe dans leurs prix, souvent en dessous des tarifs proposés chez d’autres éditeurs. Est-ce un choix fortuit ou délibéré ?
Anne Bourguignon : L’économie d’un livre est fragile. Nos tirages sont modestes. Là encore, c’est une affaire d’équilibre. Mais c’est bien sûr un équilibre délibéré et pensé. D’où une forte présence en librairie de notre collection de poche qui est une ligne de fond.
Comment qualifierez-vous votre travail ?
Anne Bourguignon : Mon travail est une réponse permanente et heureuse à tout ce que j’ignore.
Avez-vous d’autres projets en perspective pour Arléa ?
Anne Bourguignon : Oui sans cesse ! En janvier, la sortie du roman Les Deux Tilleuls de Francis Grembert. Francis a publié en 2023 un Éloge de l’Alouette, dans la collection La rencontre. J’ai mieux compris en découvrant Les Deux Tilleuls d’où venait la source intime, si belle, si juste et si profonde, de son émotion.
Outre votre statut d’éditrice, vous êtes également traductrice. Ce métier influence-t-il votre travail éditorial, votre rapport aux langues ?
Anne Bourguignon : Ce travail de traduction est dû aux hasards d’une vie. Mais oui, bien sûr, il m’a apporté beaucoup de choses. Tout ce qui rend modeste. Le travail d’éditrice comme le travail de traductrice rend modeste puisque vous accompagnez des gens, des œuvres, pour qui vous éprouvez estime et admiration. Tout cela contribue aussi à nous faire vivre pleinement. Cela nous déborde et nous emmène plus loin.
Quels sont les textes, autrices et auteurs que vous aimez ?
Anne Bourguignon : Si vous parlez de notre maison, tous, bien évidemment pour des raisons diverses. Si vous parlez en général, la liste est infinie ! Pas un jour sans lecture. La joie de la découverte est aussi vive que la joie des amitiés pérennes.
Quelles œuvres conseillerez-vous à celles et ceux qui ont envie de découvrir la littérature ?
Anne Bourguignon : « Je sais bien qu’il y a au moins quelqu’un, quelque part, qui lit avec attention, même avec amour, ce que j’ai écrit uniquement pour moi et pour lui, mais nous ne nous connaissons pas, nous ne nous connaîtrons jamais. C’est beau, mystérieux. » C’est une citation de Calaferte dans Paraphe, un livre que nous avons réédité en poche. La littérature, c’est cette alchimie merveilleuse entre un lecteur et un auteur. Quelque part, un livre a été écrit pour vous !
Quelques conseils à celles et ceux qui ont envie de se lancer dans l’édition de littératures ?
Anne Bourguignon : D’aller au bout de ce désir, bien sûr !