« Le monde de Chroma », une immersion réussie dans l’univers irisé de Thomas Arnaud

Thomas Arnaud © DR

Chaque contemplation d’une image dessinée et mise en couleurs par Thomas Arnaud permet d’accéder à un monde merveilleux dans lequel se côtoient différentes figures, différents imaginaires. Dans Le monde de Chroma, son premier livre de coloriage, l’illustrateur Thomas Arnaud invite le lecteur à moult pérégrinations enchantées dans cet univers irisé qui est le sien et qu’il a artistement construit. Entretien avec Thomas Arnaud.

Pour débuter, je vous demande une biographie. Quel est votre parcours ?

Thomas Arnaud : Après avoir obtenu un bac scientifique, j’ai poursuivi mes études avec un DUT MMI (Métiers du Multimédia et de l’Internet), où j’ai appris la programmation web, la photographie, le design graphique, l’UI/UX, etc. Par la suite, j’ai fait un bachelor en design graphique, et j’ai commencé un master en direction artistique, mais j’ai arrêté au bout de six mois. J’ai pris cette décision pour me consacrer entièrement à mon activité d’illustration, qui commençait à vraiment prendre de l’ampleur à ce moment-là.

Comment êtes-vous devenu illustrateur indépendant ?

Thomas Arnaud : J’ai toujours dessiné en parallèle de mes études, surtout des illustrations personnelles. Après plusieurs années à faire cela, des gens ont commencé à me contacter pour des projets. Au départ, il s’agissait de particuliers qui voulaient, par exemple, une affiche ou une couverture pour des ouvrages en auto-édition. Au fur et à mesure, et avec mes études, les propositions sont devenues plus complexes et les clients plus importants, ce qui a rendu difficile la gestion du travail et des cours. Comme le master ne correspondait pas vraiment à mes attentes, j’ai pris la décision de le quitter pour tenter de vivre de ma passion.

Depuis plusieurs années, vous réalisez des illustrations intérieures pour des livres documentaires ou de fantasy (cf. Les elfes dans la pop culture). Quelles sont les différentes étapes qui précèdent la réalisation de ces images ?

Thomas Arnaud : La première étape consiste à bien comprendre la mission : analyser sa complexité, sa durée, et bien sûr, discuter de la rémunération avec le client. Ensuite, il faut cerner précisément ce que le client attend, aussi bien sur le plan visuel que narratif. Quels éléments doivent apparaître ? Quel sentiment l’image doit-elle susciter chez le lecteur ? Cela passe souvent par une phase intense de questions et réponses afin de ne rien laisser au hasard et éviter toute incompréhension. Une fois ces aspects administratifs et créatifs clarifiés, je peux enfin me concentrer sur la création proprement dite.

Outre les illustrations intérieures de livres, vous avez réalisé la couverture de plusieurs livres, dont Dans l’ombre de la nuit de Clément Flandre et Dragonard de Johan Héliot. Comment s’est passée la collaboration ? Comment parvenez-vous à traduire adéquatement en images les requêtes des auteurs avec lesquels vous collaborez ?

Thomas Arnaud : J’ai la chance de travailler avec des clients très bienveillants, et les collaborations se déroulent généralement très bien, qu’il s’agisse de particuliers, d’entreprises ou de maisons d’édition. Le processus est toujours le même : comprendre au mieux ce que l’auteur ou l’éditeur a en tête. Je leur demande souvent des détails, même ceux qui semblent insignifiants, car ces éléments peuvent vraiment faire la différence dans la façon dont je vais interpréter le projet. Cela me permet aussi de voir comment mon style graphique peut s’adapter et apporter une touche unique à leur récit.

Votre travail est également constitué de réalisation d’illustrations pour les revues, institutions sportives, touristiques et muséales. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelles différences établissez-vous entre ces collaborations et celles réalisées avec les auteurs et maisons d’édition ?

Thomas Arnaud : Ce n’était pas vraiment un choix stratégique, mais il est vrai que je travaille dans des domaines très variés. Mon style graphique, qui est assez accessible et polyvalent, me permet d’être sollicité par des entreprises très diverses. Sur le plan du processus, il n’y a pas de grande différence avec mes collaborations dans l’édition : tout commence par bien comprendre la mission et les attentes du client. En revanche, les sujets abordés sont souvent bien différents et me sortent parfois de ma zone de confort. Par exemple, pour l’Automobile Club de l’Ouest, j’ai dû dessiner des véhicules, alors que je suis plus habitué aux environnements ou aux décors fantastiques. C’est ce qui rend ces collaborations si enrichissantes.

Quelles sont les techniques de dessin et de mise en couleur réalisées durant la réalisation de vos différentes illustrations ?

Thomas Arnaud : Je réalise toutes mes illustrations sur ordinateur. Je commence généralement directement par la couleur, ce qui s’éloigne des méthodes traditionnelles où l’on fait d’abord un croquis au crayon. J’aime aller tout de suite dans le détail, ce qui me permet d’explorer les textures et les ambiances très rapidement.

Vous avez un univers très irisé, oscillant notamment entre la science-fiction, le thriller et la fantasy. Comment avez-vous construit cet univers ?

Thomas Arnaud : C’est une excellente question. Mon univers est le reflet de toutes les influences culturelles que j’ai accumulées au fil des années. Chaque film, série ou bande dessinée que je consomme contribue à façonner mes affinités. J’ai toujours été attiré par les mondes imaginaires, car ils offrent une liberté de création infinie. Cela me permet d’explorer des récits visuels très variés, tout en laissant libre cours à mon imagination.

Celui-ci semble également marqué par le jeu vidéo et la réalité virtuelle…

Thomas Arnaud : C’est vrai, même si c’est moins présent aujourd’hui. Pendant mon enfance, j’ai beaucoup joué aux jeux vidéo, et certains jeux m’ont particulièrement marqué par la richesse de leurs univers. C’est sans doute pour cela que j’aime parfois intégrer des clins d’œil à ces mondes dans mes illustrations.

Quelles sont vos influences graphiques et picturales ?

Thomas Arnaud : Mes influences graphiques sont très variées. J’admire beaucoup d’artistes qui ont des styles très différents du mien, mais si je devais citer ceux qui sont proches de mon univers, je parlerais de Devin Elle Kurtz, Sylvain Sarrailh, Raphael Lacoste, Jocelin Carmes et Jean Mallard. D’un autre côté, j’apprécie aussi des artistes comme Guweiz, Flop, et Yashiro Nanaco, dont le travail est assez éloigné du mien.
Pour ce qui est de la peinture, mes principales influences viennent du romantisme, et plus particulièrement de Caspar David Friedrich, qui parvient, à travers ses paysages, à faire ressentir de fortes émotions, quelque chose que j’essaie de retranscrire dans mes propres créations.

Vous avez réalisé plusieurs illustrations en hommage aux œuvres du mangaka japonais Miyazaki. Est-ce un auteur que vous aimez ?

Thomas Arnaud : Absolument. Miyazaki est mon auteur préféré dans le domaine de l’animation. Il a cette capacité unique à nous plonger dans des mondes d’une richesse incroyable, que ce soit au niveau des personnages ou des environnements. Ses œuvres sont de véritables sources d’inspiration pour moi.

Depuis l’avènement des intelligences artificielles, une grande partie du monde de la culture s’inquiète de la disparition progressive de leurs métiers ou de l’amoindrissement des collaborations avec les auteurs et éditeurs. Une réaction ?

Thomas Arnaud : Je comprends complètement cette inquiétude, et je la partage. Pendant longtemps, on a pensé que ce genre de situation n’arriverait que dans la science-fiction. Voir des machines réaliser des tâches créatives, c’est une réalité qui nous rattrape. Les IA peuvent produire des images impressionnantes, mais à mes yeux, elles manquent encore d’une dimension essentielle : l’humanité. Elles ne parviennent pas à retranscrire cette sensibilité unique que seuls les artistes humains possèdent. Cela dit, je reste optimiste. La majorité des maisons d’édition continuent de travailler avec des artistes, et celles qui ont tenté d’utiliser l’IA ont souvent fait marche arrière à cause des problèmes éthiques que cela soulève et des réprimandes auxquelles elles ont fait face.

Quelle est votre définition de l’illustration ?

Thomas Arnaud : Pour moi, l’illustration est un moyen d’exprimer sa sensibilité, sa créativité et son imagination à travers une image. C’est une façon de raconter des histoires visuellement, un peu comme un tableau ou une photographie.

Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui ont envie de se lancer dans l’illustration ?

Thomas Arnaud : Je leur dirais que l’illustration est un excellent moyen d’explorer son propre univers intérieur et de créer quelque chose d’unique. Il faut aussi persévérer, s’entourer de bonnes influences, et surtout ne jamais cesser d’apprendre.

Avez-vous d’autres projets en cours ?

Thomas Arnaud : Actuellement, je travaille sur une boîte de jeu de société, une affiche événementielle, ainsi qu’une couverture de livre. Des projets très variés, ce qui rend le travail toujours passionnant !