Peintre et dessinateur, Edgar Sandí Martínez s’est installé en France pour créer et publier sa première bande dessinée. À cette occasion, il a accepté de répondre à quelques questions sur les similitudes et dissemblances majeures qu’il y a entre les secteurs de la bande dessinée en France et au Costa Rica. Entretien avec un artiste de talent dont les planches et illustrations laissent entrevoir une carrière pleine de promesses.
Pour débuter, je vous demande une biographie. Quel est votre parcours ?
Edgar Sandí Martínez : Je viens d’une famille humble, habitant à San José au Costa Rica depuis plusieurs générations. Toute mon éducation, je l’ai faite au Costa Rica, d’abord dans le système public, ensuite dans un lycée privé catholique. Pour l’enseignement supérieur, j’ai été accepté à l’École des Beaux-Arts de l’Université du Costa Rica où j’ai étudié la peinture et le dessin graphique. Plus tard, j’ai suivi un cursus de quatre ans à l’école d’architecture de la même université. Ensuite, ici, à Angoulême, j’ai fait un master en bandes dessinées à l’EESI (École européenne supérieure de l’image).
Comment êtes-vous devenu dessinateur ?
Edgar Sandí Martínez : Je crois simplement que je n’ai pas pu abandonner le dessin, contrairement à la plupart des gens qui finissent par dire qu’ils ne savent pas dessiner. Avec le temps, le dessin est devenu pour moi un médium de communication comme la musique, la peinture et l’architecture. C’est aussi un espace où j’imagine des mondes possibles.
De nationalité costaricaine, vous avez décidé de vous installer en France pour créer et publier votre première bande dessinée. Pourquoi ?
Edgar Sandí Martínez : D’abord, la réponse la plus logique est qu’ici en France, il est possible de le faire au sein d’une structure professionnelle beaucoup plus développée que dans le reste du monde. Il y a aussi la vision de la BD qui est différente ici. Les gens sont ouverts et conscients de l’importance du médium. Cependant, si j’avais pu faire de la bande dessinée un métier sérieux au Costa Rica, peut-être que je ne serais pas venu en France. Or, je suis aussi pleinement intéressé par tout ce qu’offre cette expérience franco européenne : la culture, les gens, la langue, les histoires et toute la réflexion qu’un immigré peut avoir.
Quelles autres différences établissez-vous entre le secteur professionnel de la bande dessinée en France et celui du Costa Rica ?
Edgar Sandí Martínez : Les différences commencent par le simple fait que la France possède un capital économique énorme comparé à un pays qui était une ancienne colonie mineure. Mais ce n’est pas tout, car avec ce capital économique, je trouve que la vision de la culture que la France cherche à promouvoir est particulièrement forte, notamment dans la bande dessinée où il y a un réel effort pour lui donner une place sérieuse en tant que métier, comparé à d’autres régions où il existe pourtant une industrie de la BD. Même si l’on sait que ce n’est pas un système parfait et qu’il faut stabiliser la situation de nombreux auteurs, je trouve que la France s’efforce de soutenir la création et la recherche en bandes dessinées de manière engagée.
Au Costa Rica, il y a une histoire de la bande dessinée, liée à la presse, mais le roman graphique et la publication à grande échelle sont encore inexistants pour l’instant. Des efforts ont été faits, mais n’ont pas toujours perduré pour diverses raisons… Il y a cependant des initiatives en cours : un exemple est la maison d’édition Pulpo Press, lancée par Edo Brenes (le seul auteur de BD costaricien publié en France pour l’instant) et Yoss Sanchez, mais il nous reste encore du chemin à parcourir.
Quels sont les auteurs et autrices de bandes dessinées que vous aimez ?
Edgar Sandí Martínez : J’ai toujours adoré les histoires où les personnages sont des gens ordinaires qui vivent intensément leurs vies. Je pense aux strips de Garfield de Jim Davis et à Charlie Brown de Schulz, ou encore à Mafalda de Quino.
En ce qui concerne les récits plus longs, je suis fasciné par Camille Jourdy et ses situations particulières, la transformation du genre par Lisa Blumen dans la science-fiction ou encore la maîtrise du récit latino-américain chez Marcelo Quintanilha.
Je m’intéresse également beaucoup aux expériences formelles menées par des auteurs comme Richard McGuire, Jason Shiga et, bien sûr par Chris Ware qui inspire de nombreux bédéistes contemporains.
Chris Ware, l’auteur de bandes dessinées que vous citez comme une référence majeure, a construit une œuvre puissante parsemée d’observations sur la société américaine. Allez-vous suivre la même lignée avec votre première bande dessinée ?
Edgar Sandí Martínez : Dans ses livres, Chris Ware est un auteur qui interroge les frontières, les possibilités de la BD. C’est précisément cette vision de Chris Ware qui m’intéresse, entre autres. Au-delà de cet intérêt pour son travail formel, c’est son attention au quotidien de personnages réels qui m’interpelle. Mettre en avant des personnages normaux, de la vie réelle, est ce que j’aime le plus dans les œuvres artistiques. Écrire sur les sentiments et l’intensité qui traversent la vie des personnes dans notre espace social est très important pour moi. Dans certains cas, braquer le projecteur sur certaines conditions humaines peut même être un acte porteur de poids politique.
Quelle est votre définition personnelle de la bande dessinée ?
Edgar Sandí Martínez : La bande dessinée, pour moi, c’est le terrain des frontières. C’est-à-dire, un terrain d’opportunités. La composition de sa syntaxe est en soi un défi dans le sens positif du terme. Le fait être une écriture par images ouvre un monde de possibilités. Dans un sens plus académique, c’est un médium grâce auquel on communique à travers une écriture séquentielle d’images. Personnellement, j’essaie d’en explorer les possibilités en jouant avec son langage, en le mêlant à celui d’autres univers tels que le jeu vidéo, le cinéma, la littérature…
Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui ont envie de se lancer en bandes dessinées ?
Edgar Sandí Martínez : Selon moi, si on veut faire de la bande dessinée, il faut être à l’aise avec l’instabilité, dans tous les sens du terme. Il faut accepter que le travail puisse être refusé et que, parfois, les résultats économiques ne reflètent pas l’effort fourni, surtout au début et en fonction du type de contrat obtenu. Bien sûr, il faut beaucoup croire en son travail, se pousser à l’innovation et être un peu fou pour vouloir rester collé à une feuille blanche pendant de longues périodes.
Un dernier mot sur la bande dessinée ? Que peut-elle encore dans notre société ?
Edgar Sandí Martínez : Si l’on essaie d’ouvrir nos horizons en tant que lecteurs ou créateurs, la BD, dans son apparente simplicité, peut ouvrir des discussions qui appartiennent généralement à des mondes plus exclusifs comme l’académie, la science, la politique, et qui ne sont pas toujours accessibles à un public large. Ce n’est pas une chose négligeable.