Claire Jeantet : « le livre audio permet d’ouvrir de nouvelles voies »

Claire Jeantet © DR

Depuis plusieurs années, les acteurs du livre en France proposent au public des textes de fiction et de non-fiction sous une forme audio. Souvent lu artistement par des professionnels de la voix ou des romanciers, le livre audio a su trouver sa place auprès de différents publics, comme l’attestent plusieurs récentes études barométriques publiées par le Centre national du livre sur les pratiques lectorielles des Français.

Éditrice chez Audiolib, le ténor de l’édition de livres audio en France, Claire Jeantet a accepté de répondre à nos questions portant sur la fabrication et le succès du livre audio auprès de différents publics en France.

Pour débuter, je vous demande une biographie. Quel est votre parcours ?

Claire Jeantet : J’ai fait des études de lettres et d’histoire avant de faire un master en édition à l’université de Paris 4 Sorbonne. Ensuite, j’ai travaillé au service multimédia de la Bibliothèque nationale de France avant de rejoindre Audiolib, il y a presque six ans.

Comment êtes-vous devenue éditrice de livres audio ?

Claire Jeantet : Honnêtement, c’est un peu par hasard même si j’ai toujours été intéressée par le fait de transmettre un texte sous un autre média, puisque à la BNF, nous diffusions des ressources multimédias sur Internet avec notamment de l’iconographie. J’ai donc simplement postulé chez Audiolib pour être éditrice de livres audio et coordonner la distribution numérique.

En quoi consiste votre travail ?

Claire Jeantet : Il y a plusieurs choses. On reçoit les argumentaires de vente des éditeurs, qui veulent nous présenter leurs nouveautés. En équipe, on lit ce qui nous paraît le plus pertinent et on échange. Avant de faire nos choix, on regarde aussi les chiffres de vente, les critiques de presse, les critiques sur Babelio. Une fois qu’on a choisi les textes à adapter en livre audio, on achète les droits auprès des éditeurs. Toutes ces actions ont lieu dans la première partie du travail. Dans la deuxième partie, il y a la production du livre audio. On fait un casting sur extrait, puis on prépare l’enregistrement. Le lancement en studio est un moment très sympathique parce que ça nous permet de discuter avec les comédiens, d’entendre leurs voix, le rythme de la lecture… Par exemple, pour Sa préférée, le livre de Sarah Jollien-Fardel, on cherchait une voix de femme avec un équilibre entre la jeunesse et la maturité, du fait de la dureté de l’histoire. Pour un polar français, on optera plus pour une voix masculine un petit peu rock de fumeur. Et pour un polar nordique, on choisira un comédien qui a une facilité à reproduire les noms propres. Il n’a pas besoin de parler le danois ou le suédois, il doit juste être capable de restituer en français certains choix voulus par l’auteur. Une fois que l’enregistrement est terminé, le studio fait le montage, le mixage et nous envoie les fichiers définitifs, qu’on vérifie une dernière fois avant de les envoyer en fabrication ou de les mettre sur les plateformes numériques.

Le fait que le livre soit lu par quelqu’un d’autre créée un sentiment de partage, de transmission.

Claire Jeantet

Qu’est-ce qu’un livre audio ?

Claire Jeantet : Un livre audio est un livre lu de manière intégrale par un ou plusieurs comédiens. Le livre peut être de la fiction ou de la non-fiction. Contrairement aux feuilletons radiophoniques, on utilise peu de musiques et peu d’effets dans les livres audio. On a des virgules musicales en début de chapitre, c’est tout.

En quoi le livre audio diffère-t-il du livre écrit ?

Claire Jeantet : Il y a la voix en plus qui propose une interprétation, mais qui laisse aussi place à l’imaginaire puisqu’on n’est pas au cinéma. Donc quand on écoute le livre audio, on peut produire ses propres images avec en plus toute la sensibilité du comédien ou de la comédienne. Cela peut même faciliter la lecture de certains titres plus complexes ou plus longs qui peuvent impressionner le lecteur sur format papier. De plus, le fait que le livre soit lu par quelqu’un d’autre créée un sentiment de partage, de transmission.

Est-ce pour cela qu’il a un succès important auprès des lecteurs ?

Claire Jeantet : Il est vrai que les usages sont en croissance ces dernières années et plus particulièrement depuis quatre ou cinq années. Il y a aussi le fait que le livre audio est plus connu du grand public maintenant, même s’il y a encore beaucoup de personnes qui le lient uniquement aux malvoyants ou à un public porteur de handicap. Ce qui n’est pas totalement vrai. Il y a aussi le fait que les usages ont été facilités par la technologie : maintenant, on peut avoir son livre audio sur son téléphone, sur sa tablette, sur son ordinateur et l’amener partout avec soi. Tout cela a démultiplié les usages, y compris pour aussi un public plus jeune.

Justement, d’après une étude barométrique du Centre National du livre sur les pratiques lectorales des Français de 7 à 19 ans, le livre audio conquiert de plus en plus de jeunes. Pensez-vous qu’il puisse être exploité par l’Éducation nationale pour développer le goût de la lecture chez les jeunes ?

Claire Jeantet : On sait qu’il y a des professeurs et des médiathecaires qui le promeuvent de plus en plus auprès des jeunes publics. Il y a même depuis quelques années la Plume de Paon des lycéens. C’est un prix décerné par la Plume de Paon, une association qui promeut le livre audio. Grâce à ce prix, les lycéens écoutent plusieurs livres audio pendant l’année. Ensuite, ils ont des ateliers avec des comédiens. C’est à la fin qu’a lieu la remise des prix. C’est un super programme mis en place avec les académies. De son côté, l’association VOX a aussi créé un Prix Vox des collèges, qui s’adresse aux établissements de l’académie de Créteil. Toutes ces actions permettent de faire découvrir le livre audio à des publics jeunes.

Pierre Lemaitre lit aussi effectivement ses livres : Il est vraiment très fort et très apprécié des lecteurs.

Pierre Lemaitre

Quel est le circuit de diffusion des livres audio ?

Claire Jeantet : Il y en a deux principalement. Il y a encore une production de CD, qui est ensuite distribué dans les librairies, et dans les grandes surfaces culturelles comme la Fnac, Cultura, etc. Maintenant, il y a aussi la vente directe via notamment notre site. Ensuite, il y a la diffusion numérique à travers les plateformes de vente du livre audio, françaises comme internationales.

À l’exemple de Delphine Horvilleur ou de Pierre Lemaitre, certains auteurs choisissent eux-mêmes de lire leurs textes. Comment l’expliquez-vous ?

Claire Jeantet : Oui, il arrive que des auteurs choisissent de lire leurs textes. Pour Delphine Horvilleur, c’était une évidence parce que du fait de son métier de rabine, elle a vraiment une pratique de l’oralité. De plus, son texte est un texte très personnel. C’était donc logique de lui proposer la lecture. Pierre Lemaître lit aussi effectivement ses livres : Il est vraiment très fort et très apprécié des lecteurs. Toutefois, je ne pense pas que ce soit une pratique qui se généralisera chez les auteurs, car c’est un métier différent, avec des compétences différentes.

Depuis l’avènement des intelligences artificielles, une grande partie du monde de la culture s’inquiète de la disparition progressive de leurs métiers ou alors de l’amoindrissement des collaborations avec les cinéastes, producteurs et éditeurs. Partagez-vous leurs inquiétudes dans le secteur du livre audio ?

Claire Jeantet : À Audiolib, nous continuons de défendre la valeur et la richesse de la voix humaine par rapport aux voix automatisées. Certains des comédiens avec lesquels nous travaillons sont d’ailleurs membres de Vox, l’association qui défend les professionnels du doublage et de la voix off. Ce sont des collectifs qui surveillent de plus près le développement des intelligences artificielles, comme nous à Audiolib.

Avez-vous des projets et des préconisations pour aider à davantage de reconnaissances institutionnelles du livre audio ?

Claire Jeantet : Il y a une reconnaissance institutionnelle qui s’est affirmée ces dernières années. Il y a eu la création de la commission Livre audio au Syndicat national du livre. Il y a certaines associations comme la plume de paon qui discerne chaque an au Centre National du livre plusieurs prix aux meilleurs livres audio. Il y a aussi, dans le cadre de festivals littéraires comme le salon du livre de Paris, des reportages sur le livre audio dans la presse littéraire et généraliste. Toutes ces actions aident à davantage de reconnaissances du livre audio.

En tant qu’éditrice, vous devez avoir un attrait pour la littérature. Quels sont les textes et auteurs qui vous ont permis de vous construire humainement et intellectuellement ? Qu’est-ce que vous aimez dans leurs textes ?

Claire Jeantet : C’est une question difficile puisque je ne pourrais pas tous vous les citer, surtout de tête. Ce que je peux vous dire, c’est que les textes que je lis ont des résonances les uns avec les autres.

Un dernier mot sur la littérature ?

Claire Jeantet : La littérature permet de s’évader, d’ouvrir ses horizons, de voir autre chose que son quotidien.

Et sur le livre audio ?

Claire Jeantet : Le livre audio permet de découvrir de nouveaux textes et de redécouvrir des textes qu’on a lu sous une autre forme. Le fait d’entendre un comédien « réciter » un texte change absolument la perception qu’on a d’un livre. En cela, le livre audio permet d’ouvrir de nouvelles voies, de construire un imaginaire nouveau qu’on ne construirait peut-être pas sans la voix des comédiens.